Entretien avec les réalisateurs

Qu’est-ce qui vous a donné envie de raconter cette histoire ?

Françoise Bouard – Nous avions animé un stage cinéma dans ce même centre d’éducation renforcée qui se trouve à quelques kilomètres de chez nous. La rencontre avec ces jeunes avait été formidable. Mais surtout, on s’est rendu compte des préjugés que nous avions malgré nous sur les mineurs délinquants. Nous avions eu en face de nous des adolescents en souffrance, blessés par la vie et très attachants. On a eu envie d’aller voir comment ça se passait pour eux au quotidien, d’essayer de comprendre ce qui les a amené à se retrouver placés sous autorité de justice. Nous étions aussi curieux de savoir comment les éducateurs parvenaient – ou non – à les aider à se construire hors du sentier de la délinquance. On s’est plongé dans la vie du centre, avec la complicité des éducateurs. Ils ont été incroyables. Ils nous ont aidés à saisir ce qui se jouent ici pour ces jeunes. 

“Jour après jour, semaine après semaine, nous cherchions les moments où les adolescents sont rassurés, valorisés parfois pour la première fois dans un acte constructif.”

Régis Blanchard – Ils sont « sous main de justice », ce qui veut dire que leur liberté est en jeu. IIs sont régulièrement convoqués au tribunal pour des délits qu’ils ont commis. Leur famille est souvent absente ou démissionnaire. C’est la justice qui les renvoie à leurs actes, leur pose le cadre et tente de les aider à entrer dans l’âge adulte, rarement leurs parents. 

Comment l’institution pénitentiaire a-t-elle accueilli votre proposition ?

RB – Le CER. n’est pas un centre pénitentiaire. C’est un lieu ouvert et dans l’absolu, les jeunes peuvent sortir. Les seuls murs qui les empêchent d’être libre sont la présence constante des éducateurs. 

FB – Le ministère de la justice a été notre interlocuteur pour les autorisations de tournage. Mais le plus important était de convaincre l’équipe éducative, sans qui rien n’était possible. Ça s’est fait presque naturellement. 

RB – Une complicité est née très vite avec le directeur et son équipe, qui ont compris l’intérêt de notre démarche. Parce que eux-mêmes ont besoin de communiquer sur leur travail. Ils ont besoin que la société, qu’elle soit civile ou politique, comprenne le sens de leur travail. Nous étions présents au quotidien avec eux pendant 9 mois. Pas tous les jours évidemment. 

FB – Notre chance, c’est qu’on habite à 15 km du CER. Miloud, le directeur, nous appelait pour nous dire, « dans une heure, je fais le point avec Kevin dans mon bureau ». On lâchait ce qu’on faisait et on bondissait dans la voiture caméra en main, direction le centre. C’est comme ça que la scène-clé du début avec la mère de Kevin au téléphone, a pu être filmée.

Ces scènes de discussion sont des moments très forts. Et le film a ce double intérêt de permettre la compréhension du parcours d’un très jeune homme en souffrance, et aussi de voir le travail fait par les éducateur.ices.

RB – C’était primordial, car c’est bien dans ce dialogue conflictuel avec l’équipe éducative que tout se révèle. La difficulté de ces jeunes-là est d’intégrer l’idée d’un cadre, et de devenir responsable. 

FB – Il y a une phrase du film que j’adore, c’est quand Kevin dit : “Vous, vous êtes adultes, vous êtes éducateurs, nous, on est jeunes et on a des problèmes dans nos têtes, c’est ça la différence !  » Elle dit tout de cette confrontation entre le jeune qui a fait de grosses conneries, et l’éducateur qui est là pour l’écouter, le protéger, recevoir ses douleurs, et en même temps l’aider à les dépasser. Tout l’enjeu du film est là : est-ce que l’institution est capable de les aider à devenir adulte ?

Il n’y a pas que ça, ils doivent aussi apprendre les limites…

RB – Le cadre oui. À quel moment ils commettent un délit. À quel moment leur liberté empiète sur celle de l’autre. C’est aussi ça devenir adulte, comprendre que l’on peut s’accomplir sans avoir besoin de tout casser.

Ils y arrivent ?

FB – oui, je le crois sincèrement, même si ça prend du temps. C’est ce que montre le film, il y a de l’espoir. Des graines sont semées pendant ces 6 mois, c’est constructif. D’ailleurs, la grande majorité de ces jeunes passés par les CER sortent de la délinquance entre 20 et 30 ans. C’est un fait.

Vous faites partie du monde des adultes. Comment les jeunes ont-ils accepté votre présence ?

RB – Nous ne sommes ni juge, ni éducateur, ni parent. Il n’y avait pas d’enjeux déterminants, ils n’avaient rien à nous prouver et en même temps, on avait une place à part : ce sont des jeunes qui se dévalorisent constamment ; que ce soit à l’école ou chez eux, on leur a beaucoup répété qu’ils ne valaient rien et qu’ils ne posaient que des problèmes, alors le fait que des cinéastes viennent avec une caméra pour s’intéresser à eux était une sorte de réhabilitation.

FB – “Je vaux la peine d’être regardé, même si j’ai fait des conneries.” en un mot “j’existe”. Mais s’autoriser à exister n’est pas toujours évident pour eux. Le rap de Kevin en est un bon exemple. Nous savions qu’il travaillait un texte seul dans sa chambre, mais il en avait honte au début. Et puis un jour, alors que nous filmions un moment anodin, paf ! Il nous sort son rap, comme un cri. Il savait que je l’attendais, mais c’est lui qui a choisi le moment. J’aime beaucoup son texte. Il raconte l’indicible de sa vie avec justesse, avec poésie aussi. Le titre du film, c’est une des paroles de son rap.

Vous êtes toujours en contact avec Kevin ?

FB – Oui. Nous sommes allés chez lui pour lui montrer le film. Ça a été un moment fort. En voyant la séquence où sa mère lui rend visite au centre, il a répété les mots qu’elle avait prononcés, comme pour mieux s’en rappeler : “T’es beau mon fils !”. Il les savourait, ces mots si rares.

RB – Ce qui nous a fait plaisir, c’est qu’il était fier. L’espace d’un instant certes, parce qu’il a beaucoup à construire pour vraiment sortir de la spirale de l’échec. FB – On a confiance en son intelligence et son talent, et en son éducatrice PJJ qui l’accompagnera jusqu’à ses 21 ans. Ça prendra du temps, mais il ira vers la réussite.